Entretien avec Jean-Pierre Liégeois

J'ai eu l'occasion de rencontrer Jean-Pierre Liégeois, tandis qu'il venait à Lille faire une conférence sur l'Itinéraire culturel rom, dans le cadre de Lille 3000. Voici la version formelle. Quelques questions en vrac suivront dans un prochain post.

Que vous pensez des conditions de vie des Roms dans la métropole lilloise ? Ceux qui vivent dans des bidonvilles. Quand on leur demande pourquoi ils ne repartent pas en Roumanie, puisqu'ici, ils n'ont finalement pas la vie qu'ils s'imaginaient, ils répondent que c'est tout de même mieux ici. Qu'en pensez-vous ?

Il faut me semble-t-il pour comprendre la situation démêler plusieurs fils. Dire d'abord que la plupart des Roms ne sont pas nomades, et parmi ceux qui sont mobiles, franchissant des frontières, beaucoup ne souhaiteraient pas bouger mais le font par obligation, pour s'adapter à des conditions d'existence changeantes, souvent menaçantes. Au cours de 1000 ans d'histoire, depuis l'Inde, on assiste à des déportations, par exemple du Portugal vers l'Afrique et le Brésil, de l'Angleterre vers les colonies d'Amérique et vers l'Australie. Et quand des conflits se produisent, les Roms, pris comme boucs émissaires ou bloqués entre d'autres protagonistes doivent partir, un des exemples récents étant le Kosovo, d'où la presque totalité des Roms sont partis pour survivre et se sont réfugiés dans d'autres Etats qui maintenant veulent les renvoyer sans mesurer les risques qu'ils courent. On peut mentionner aussi le fait que les caravanes, pour ceux qui vivent ainsi dans certains Etats, aient des difficultés pour s'arrêter, en raison des expulsions, entretient le nomadisme comme réponse nécessaire à un environnement rejetant.

Les Roms nomades sont numériquement peu nombreux, mais tous les Roms ont dû intégrer la mobilité dans leur existence, pour s'adapter à un rejet qui reste dominant. La montée actuelle des discriminations, dont les Roms, tous les rapports internationaux le montrent, sont les premières cibles en Europe, ne va pas entraîner une stabilisation des familles. C'est dans ce contexte que l'on doit situer la question des mouvements migratoires. On a bien connu au cours des mois derniers le rejet exacerbé qui s'est développé, jusqu'au niveau étatique, en Italie. On sait moins que récemment la Hongrie a été le lieu d'une série de meurtres dont les roms ont été victimes.

Vous mentionnez la Roumanie, et je ferai plusieurs réflexions. Je dirai d'abord que la Roumanie est souvent stigmatisée, or elle fait beaucoup pour les minorités, et pour les Roms. Certaines dispositions ou actions n'existent nulle part ailleurs, par exemple un réseau d'inspecteurs pour la scolarisation des enfants roms, par exemple la formation et l'emploi de médiateurs de santé et de médiateurs scolaires roms, par exemple un centre national de la culture rom, dans le ministère de la Culture, etc. Mais il faut dire ensuite que les conditions économiques sont très mauvaises, que les familles sont bien souvent en situation de survie, que l'échelle des mesures à prendre est à considérer à la lumière du fait que 10% de la population nationale est rom (comme si en France plus de 6 millions de pesonnes étaient rom) et enfin que en Roumanie, comme ailleurs, la discrimination à l'égard des Roms est très importante. Tout cela fait qu'ils ont intérêt à aller voir ailleurs si la situation est meilleure, et la Roumanie étant dans l'Union européenne, il n'y a pas de raison qu'en tant que citoyens roumains ils n'aient pas les même droits que les autres et puissent circuler.
Comment expliquez-vous l'arrivée massive des Roms dans la métropole ?

On parle parfois d'arrivées massives, mais il faut relativiser cela. La France n'est pas très ouverte, la plupart des Roms qui ont quitté le Kosovo, par exemple, sont allés en plus grand nombre en Italie ou en Espagne. Et une poignée de familles suscite immédiatement des réactions de rejet. N'oublions pas que les Roms sont une composante de l'Europe, ils sont avant l'heure des citoyens européens, présents dans tous les Etats et n'ayant pas d'Etat de référence, dépassant les 10 millions de personnes en Europe. Les questions qu'ils posent ne sont dons pas marginales, et les programmes développés pour eux ne sont pas des programmes pour des marginaux : ils sont au coeur des questions européennes, et nombre d'activités développées pour eux, notamment depuis plus de 25 ans par le Conseil de l'Europe, ont au contraire un effet paradigmatique, un effet d'inspiration, par exemple dans le cadre du développement d'une éducation interculturelle. Deux faits caractérisent l'Europe actuelle : la mobilité des populations, de toutes les populations, pour des raisons diverses, travail ou retraite, par exemple, et l'émergence des minorités, depuis 1990. Les Roms représentent les deux et les actions développées à leur égard peuvent aider les Etats à mieux gérer une diversité culturelle est devenue incontournable.

J'ajouterai que la question des migrations des Roms est quasi systématiquement surestimée quant au nombre des personnes concernées, et qu'elle est instrumentalisée dans le discours politique car elle vient justifier les dispositions prises en matière de contrôle et de filtrage aux frontières. La France sera probablement le dernier Etat à limiter la circulation des citoyens roumains et bulgare : la date butoir fixée dans l'Union européenne est fin 2011, mais la plupart des Etats, une majorité maintenant, ont décidé d'aligner dès aujourd'hui les droits de tous les citoyens de l'Union européenne. Depuis le début de 2009, 5 Etats ont levé les restrictions, ce qui porte leur nombre à 17, et bientôt d'autres vont suivre. Quant aux reconduites à la frontière, on sait qu'elles sont perturbantes pour les familles, inutiles et coûteuses. Un récent rapport du Sénat indique que le coût d'une reconduite est au minimum de 21.000 euros. Au lieu de reconduire 10 personnes pour 210.000 euros, ou 100 pour plus de 2 millions d'euros, on pourrait développer un bon programme d'intégration.
Que pensez-vous des villages d'insertion mis en place dans la métropole lilloise et ailleurs ?

Pour ce qui est des "villages d'insertion", il faut être prudent et voir en chaque endroit la situation de près. Comme en tous domaines, ils peuvent exister pour le meilleur comme pour le pire. Le fait d'avoir un logement décent créé de meilleures conditions de vie, ainsi que le fait de ne plus risquer une expulsion chaque jour. Il faut avoir des conditions de survie, et de sécurité, avant de pouvoir penser au travail et à la scolarisation. Ensuite, dès lors qu'on ouvre une concertation à l'occasion de ces relogements, si concertation il y a, entre les familles et les autorités, les progrès sont sensibles. Je mentionnais tout à l'heure les médiateurs roms, et on a là un exemple de situation où leur emploi serait déterminant, avec un rôle d'interface entre les autorités, la commune, et les familles. Leur formation et leur statut sont établis dans plusieurs Etats; il n'en est pas de même en France, et on a une belle occasion de commencer. Mais si ces espaces dits "d'insertion" sont comme c'est le cas dans certains lieux, des espaces d'enfermement, alors il s'agit d'une régression.

Qu'est-ce qui vous a conduit à travailler avec les Roms ?

Alors que j'étais lycéen à Dijon j'ai connu des familles roms dans deux situations difficiles, d'une part leur expulsion d'une place traditionnellement occupée par les caravanes, et d'autre part leur expulsion pour la suppression d'un bidonville. Avec des amis nous avons créé une association pour mieux organiser notre action et lui donner plus d'impact. J'ai eu aussi l'occasion de connaître des familles gitanes dans le sud de l'Espagne, et de développer des liens durables. Ce n'est que plus tard quand, étudiant, il m'était demandé de réaliser des travaux de recherche, que j'ai commencé à vraiment lire des documents, qui donnaient pour la plupart une image folklorique ou négative très éloignée de la réalité, et que j'ai travaillé dans les archives de certaines villes espagnoles. Au fil des années cela m'a mené à une thèse puis à une coopération avec le Conseil de l'Europe et la Commission européenne, à créer à l'Université un centre de recherches, et à lancer une série de publications européennes, et d'autres activités encore.
Entretien réalisé par Hedwige HORNOY

1 commentaire:

  1. bjr, est ce qu'il y aurait possibilité d'avoir un résumé de la conférence qui a eu lieu à lille. merci d'avance

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