vendredi 07.08.2009, 04:46 - La Voix du Nord

Ils vivent ici en Roumanie, mais rêvent d'un là-bas à Lille

Ils ont vécu à Lille, dans des caravanes. Ils espéraient intégrer un village d'insertion. Ils ont bénéficié de l'aide au retour « volontaire ». Depuis février, ils sont de retour dans leur village roumain. Nous sommes allés à leur rencontre en juin.

PAR HEDWIGE HORNOY
Valea Seaca, à près de 300 km au nord-est de Bucarest. Au sommet d'une butte de terre couverte de caillasses, derrière un buisson d'épineux, une baraque blanche et bleue défraîchie. Dehors, à côté de la porte d'entrée, une machine à laver dévorée par la rouille. « On n'a pas d'électricité, pas d'eau courante. Et là, la fenêtre est cassée. » Le petit bonhomme qui nous fait visiter les lieux ne nous est pas inconnu. « J'étais à Lille avant... » Le gamin, tout fier, récite les stations de métro qu'il arpentait pour faire la manche. « Rihour. Porte des Postes. Gambetta. » Une môme d'une dizaine d'années s'approche, timide : « Moi aussi, j'étais à Lille. » La jeune maman, un bambin dans les bras, explique que toute la famille « était en France de septembre 2008 à février 2009 ». Elle se tient le ventre, fait la grimace, se plie en deux. Elle a faim.
Il y a bien quelques lopins de terre autour, mais ce n'est pas suffisant pour nourrir toute la famille, composée de dix membres. Cousins, cousines, tante, grand-mère, tout le monde partage la même maison. Pas de pièce à vivre, juste des chambres, où trônent un grand lit et une armoire.
Faute de diplôme, ils n'ont pas de travail et peu d'argent. Pour les six enfants dont il a la charge, le couple perçoit « au total, 100 € par mois ». La matriarche au visage parcheminé, qui regarde le temps qui passe, assise dehors près du poêle à bois, ne touche pas de pension.

« En septembre... peut-être »
En quête d'un avenir meilleur, ils ont fait le voyage entre Bacau et Lille en autocar. « 1 000 € pour toute la famille. » En France, rien ne les attendait. Pour se loger, ils sont allés voir les Gitans français. « Ils nous ont vendu une caravane. » Pour se nourrir, ils se sont adressés à des associations. « On avait de quoi manger tous les jours. » Pour entretenir leur rêve, ils se sont tournés vers l'État et ont tendu la main vers les passants. « On a mis les allocations de côté, pour construire notre maison... là. » Le père pointe du doigt ce qui semble être les fondations. Une dalle en béton, quelques tasseaux de bois, des gravats comme remblais. « On a dû arrêter là, on n'a plus assez d'argent. » Accoudé à un break immatriculé « 59 », le père de famille confie qu'il prépare un nouveau voyage en France. « En septembre... peut-être. » Il nous questionne sur les mobile homes. « On était sur la liste d'attente avant de partir... » Les mobile homes, c'est un peu le Saint Graal pour ces Roms. « De l'eau, de quoi cuisiner, du chauffage. » Radija Cantaragiu, membre de la famille qui vit dans le village d'insertion de Fives, leur donne des nouvelles par téléphone. Ses enfants vont à l'école.
Elle et les siens apprennent le français. Mais voilà, la communauté urbaine de Lille ne finance plus de nouveaux mobile homes. En septembre, ce sera donc à nouveau la vie de caravane pour ceux qui reviendront à Lille. •

vendredi 07.08.2009, 12:00 - La Voix du Nord

Voyage en terre gitane au pied des montagnes roumaines

Des Roms, dans la métropole, on ne connaît que les bidonvilles de caravanes, les mobile homes que la communauté urbaine a fait installer pour eux, la mendicité... Mi-juin, nous sommes allés à leur rencontre, en Roumanie. Surprise : nous y avons retrouvé une famille qui était à Lille jusqu'en février.
PAR HEDWIGE HORNOY
Aéroport de Paris-Beauvais, 15 juin, embarquement pour Bucarest, Roumanie. Dans la poche, un carnet annoté : Radija Cantaragiu, Valea Seaca, Bacau.
Radija, c'est l'une des Roms qui vit à Lille, dans le village d'insertion de Fives, avec sa famille. Quelques mots échangés avec elle peu de temps après son installation, en février, suffisaient à comprendre qu'elle ne voulait pas rentrer au pays. Pour mieux saisir la situation, nous sommes partis à la rencontre de sa famille.
Arrivée à Bacau, à près de cinq heures de train au nord-est de Bucarest, la température avoisine les 35 ° C. Depuis la gare, on aperçoit des bâtiments désaffectés, des tours bétonnées, grises, mornes. Contraste saisissant avec les montagnes couvertes de pins, traversées en train depuis Buzau. Dans le centre, seules les églises orthodoxes, qui s'élèvent par dizaines, offrent une certaine qualité architecturale.
Nous logeons à une dizaine de kilomètres, à Lucani. Le maître des lieux travaille dans l'industrie céréalière. Son fils propose de faire le chauffeur jusqu'à la Valea Seaca, et le traducteur sur place. Nous acceptons non sans étonnement. Tous les Roumains rencontrés jusque-là cultivent une haine tenace envers les Roms, venus d'Inde, longtemps nomades, qui se sont installés en Roumanie, en Bulgarie et ailleurs voilà plusieurs siècles. Une population réduite à l'esclavage dans les pays de l'Est jusqu'au milieu du XIXe siècle, persécutée par les nazis dans la première moitié du siècle suivant.
La plupart des Roumains ne leur adressent pas la parole. « Ce n'est pas la meilleure chose qu'on ait chez nous », souffle Octavian, 22 ans. « Ils ne travaillent pas. » « Ils sont violents. » « Ils volent. » Ou encore : « Ils refusent d'aller à l'école. » Notre chauffeur, lui, n'a pas de préjugés à leur égard. « Je ne les connais pas. Je ne leur parle jamais. Je n'ai donc pas d'avis sur eux », avoue-t-il en chemin.
À droite, à gauche de la route, des plaines, à perte de vue, et la montagne au loin. Des charrettes tractées par des chevaux partagent l'asphalte avec les automobilistes. Celle-ci transporte du bois, celle-là du foin, une vache meugle dans une autre. Dans les parcelles disséminées çà et là, les paysans travaillent à la main, à la faux.
Valea Seaca. Notre chauffeur gare son break cabossé sur le bord de la route et va se renseigner auprès d'un petit vieux, assis sur un banc devant sa maison.
« Il ne connaît pas cette famille, mais il dit que les Gitans vivent par-là, dans cette rue. » Les Gitans, c'est ainsi que les Roumains appellent les Roms. Alina Costin, jeune prof de français dans un lycée de Bacau, avoue avoir « découvert le terme rom avec l'entrée du pays dans l'Europe ». Dans l'Hexagone, on nomme ainsi ceux qui viennent d'Europe de l'Est, pour les différencier des Gitans français.

Baraques défraîchies et Dacia rouillées
Derrière un grand portail, une cour en terre battue. Des hommes, quelques femmes et une flopée de gamins se précipitent vers nous. Un môme haut comme trois pommes dévore un saucisson à pleines dents. Devant notre regard incrédule, le père se contente de sourire.
Le nom de Radija ne leur dit rien. « Rada ? » Peut-être son surnom. « Son fils porte un corset pour maintenir son dos ? » C'est ça, c'est bien elle. Notre guide échange quelques mots en roumain avec un jeune homme d'une vingtaine d'années. Il va nous emmener dans une maison un peu plus loin. Le village est constitué d'une seule rue, bordée de baraques défraîchies et de Dacia rouillées.
Une jeune femme et son mari viennent à notre rencontre. Rada, bien sûr qu'ils la connaissent. La dame qui arrive, justement, est sa belle-mère. Eux aussi ont vécu à Lille, de septembre 2008 à février 2009. Depuis leur retour au pays, ils n'aspirent qu'à une chose : revenir dans la métropole. •